Le Miguel caldentey, témoin d'une longue épopée
La tradition séculaire de la voile méditerranéenne
La marine à voile a joué un rôle majeur dans le transport sur tout le pourtour méditérranéen. Depuis les premiers navires marchands, les échanges commerciaux ont employé ces navires. Ainsi, sont apparus successivement les Gaulos phéniciens, les Cataphractes grecs et les Oneraria romains.
Un cataphracte, cargo lourd grec (400 av. J.-C.) - Crédit : NAVISTORY
En Méditerranée occidentale, un savoir-faire d'excellence pour la construction maritime se développe au cours des siècles. Les charpentiers de marine ont toujours fait progresser leur pratique. La longue liste des types de navires qui ont relié les ports français, espagnols, italiens ou d'Afrique du Nord témoigne de ces talents : galères, cogues, caraques, nefs, chébecs, llaüts, tartanes. Bien que plus modestes, les barques catalanes sont aussi une illustration de cette tradition séculaire.
Les goélettes, derniers voiliers marchands
Au XIXème siècle, en Espagne, le trafic transatlantique a justifié l'essor de la construction de grands voiliers de transport : brigantins, polacres et autres voiliers de 2 ou 3 mâts à voiles carrées.
La fin des colonies espagnoles avec la perte de Cuba en 1898 et la concurrence de la vapeur ont drastiquement réduit leur usage dans ces grandes traversées. Mais leur exploitation en Méditerranée occidentale pour le cabotage ou des traversées moyennes est restée pertinente face à la vitesse des vapeurs sur de grands parcours.
C'est donc au début du XXème siècle que le gréement aurique est systématisé. Celui-ci est plus adapté à la navigation en Méditerranée que le gréement carré, plus efficace dans les vents portants de l'Atlantique. Il supplante aussi la traditionnelle voile latine plus difficile à manoeuvrer. Le gréement des voiliers existants est alors modifié les transformant en goélettes. Et c'est lui qui est adopté dès l'origine lors de la mise à l'eau de nouveaux voiliers dont la construction est relancée dès 1914. A Majorque, plus d'une quarantaine de voiliers sortent des chantiers en six ans.
Goélettes à Puerto de Gandia - Province de Valence - Juan Ibanez Aznar - 1947 - Coll. Association França a Vall de Sóller
Ces voiliers sont des "travailleurs discrets et infatigables" dans une période difficile. La destruction d'une grande part de la flotte marchande moderne durant la première guerre mondiale, plus tard la guerre civile et la deuxième guerre mondiale ainsi que la faiblesse des infrastructures terrestres espagnoles, leur permettent de jouer un rôle important. Leur nombre se réduira progressivement mais beaucoup resteront actifs jusqu'aux années 1970.
Des motovelers robustes
Progressivement motorisés, leurs gréements se réduisent et ils sont renommés "motovelers", c'est-à-dire voiliers à moteur.
L'équipage est limité. Il se compose généralement d'un capitaine, d'un second et de quatre ou six marins souvent jeunes. Intrépide et courageux, l'équipage doit pouvoir faire face à des traversées longues et difficiles, parfois dramatiques lorsque les vents sont contraires.
Plusieurs centaines de ces voiliers, robustes, "très marins", maniables et polyvalents ont assuré une part importante du transport maritime depuis la côte andalouse jusqu'à Marseille, et aux Baléares. Très peu ont survécu ! Seuls le Santa Eulalia du Musée Maritime de Barcelone et quatre autres navires sont encore à flots.
Le Miguel Caldentey est l'un d'entre eux.
(Texte rédigé avec la contribution de l' Association França a la Vall de Sóller)
Le Pailebot Miguel Caldentey au port de Sóller - Majorque
Crédit : Coll Privée - Association França a la Vall de Sóller
Le Miguel Caldentey, une goélette centenaire
UNE GOÉLETTE MAJORQUINE À L'HISTOIRE MOUVEMENTÉE
Le Miguel Caldentey est donc une goélette franche à deux mâts.
En catalan ce type de navire est désigné sous le terme de «pailebot». D’origine anglaise, ce terme est une déformation du mot « pilot boat ». Il est adopté par analogie avec le gréement des bateaux pilotes américains qui pilotaient les navires venus d’Europe dans les ports d'Amérique. Dans les ports français méridionaux, c'est le terme générique et impropre de "balancelle" qui était communément utilisé.
Le maître charpentier Don Sebastien Llompart Mateu de Palma à Majorque construit cette goélette, commandée en 1913 pour Don Miguel Caldentey Ginard, un homme d'affaires majorquin de Capdepera à Majorque.
Mis à l’eau le 16 août 1916, le Miguel Caldentey fait donc partie des derniers bateaux de charge construit uniquement pour une propulsion à la voile.
Chantier de charpenterie - Palma de Majorque - 1913 - Coll. privée
cabotage en Méditerranée
Comme les autres pailebots, le Miguel Caldentey va naviguer pour les trafics de la Méditerranée occidentale reliant les ports de Catalogne, des Baléares, de la France méridionale et de l'Afrique du Nord.
Le Miguel Caldentey est affecté au transport de farine, d’agrumes et d’amandes entre les îles et le continent ibérique.
Durant la saison hivernale, il transporte des oranges à Marseille, Toulon, Sète et Port-Vendres. Nombreux sont les port-vendrais qui se rappelle de ces balancelles débordant d’oranges en vrac, déchargées par des équipes de femmes, « les transbordeuses ». Les hommes quant à eux les chargeaient plutôt de spiritueux tel que le Byrrh confectionné à Thuir. Les habitants de la côte se souviennent aussi d’être allés ramasser sur les plages des oranges passées par dessus bord lors des traversées par gros temps.
Transbordeuses d'oranges dans la cale d'une goélette - Port-Vendres - Années 50
Coll. privée Robert Daïder
En 1936, le Miguel Caldentey est doté de deux moteurs Kelvin de 70 cv.
Sa dernière traversée commerciale s'effectue le 3 octobre 1972 entre Ibiza et Bacelone. Les derniers chargements ont souvent été des matériaux de construction pour le développement de l’île d’Ibiza.
Entre sa mise à l'eau et cette dernière mission, ce ne sont pas moins de 22 capitaines qui se sont succédés à sa barre.
Goélettes affrétées par la Maison Violet - Port-Vendres - Coll privée : Robert Daïder
Arrivée en France
En 1973, le bateau est désarmé puis racheté par la "compagnie méditerranéenne des Goélettes", un groupe de passionnés de vieux gréements, qui le baptise " La Llevantina".
En 1977, la ville de Canet-en-Roussillon en fait l’acquisition. Renommé « Principat de Catalunya », il accueille alors le club house du yacht club de la ville.
En 1988, le navire est classé au Titre des Monuments Historiques, actant son importance historique et patrimoniale.
En 1999, après plusieurs tempêtes qui le malmènent, le bateau tombe malheureusement peu à peu à l'abandon et semble prêt à terminer sa vie dans le fond du port.
Goélette Miguel Caldentey - Canet-en-Roussillon - 2006 - Coll. privée
UN AMBITIEUX PLAN DE SAUVEGARDE
A partir de 2005, sous l'impulsion du Ministère de la Culture et du Conseil Départemental des Pyrénées-Orientales accompagnés des associations de sauvegarde du patrimoine maritime un ambitieux projet de récupération et de sauvegarde de ce monument est lancé.
En 2006, la commune de Port-Vendres acquiert le navire pour l’euro-symbolique. Puis, en 2008, les communes de Port-Vendres, d'Argelès-sur-mer (et de Banyuls-sur-mer jusqu’en 2014) s'associent au sein d'un Syndicat Intercommunal à Vocation Unique (SIVU Pailebot Miguel Caldentey). Le Syndicat devient propriétaire de ce navire centenaire. Le projet de sauvegarde et de valorisation relève pleinement de la compétence du SIVU. Ce dernier, en accord avec la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), confie à l’époque la restauration au chantier d'insertion du Centre Permanent d'Initiatives à l'Environnement (CPIE) du Pays Narbonnais, porté ensuite par le Parc Naturel Régional de la Narbonnaise en Méditerranée. C'est donc à Mandirac, dans l'Aude, que la goélette débutera sa renaissance après un transport par voie terrestre qui dura trois jours.
L'Association Els Amics del Pailebot Miguel Caldentey s'est créée en 2011 pour soutenir techniquement et valoriser le projet.
Dès le départ, le programme de restauration bénéficie des soutiens de l’État, de la Région Occitanie Pyrénées-Méditerranée (ex-Région Languedoc-Roussillon) et du Département des Pyrénées-Orientales.
Aujourd'hui, le Miguel Caldentey fait partie des très rares exemplaires de ce type de goélettes à avoir réussi à traverser le temps. Il est aussi le plus gros voilier à faire l'objet d'une restauration sur le littoral méditerranéen français.
CARACTéRISTIQUES DU NAVIRE
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